sábado, 28 de fevereiro de 2009

Sidi Ifni ou le retour des « années de plomb »


Aujourd’hui s’ouvre le procès des manifestants qui se sont soulevés en mai pour tirer leur ville, Sidi Ifni, de la misère. La répression policière a été féroce, la justice risque d’être inique.

Jeudi prochain, le 12 février, s’ouvre devant le Tribunal d’Agadir le procès de Brahim Bara, Hassan Agharbi, Mohamed Ouahadani, Khadija Ziane et dix-huit autres militants du mouvement social de Sidi Ifni, une petite ville de 20 000 habitants au sud du Maroc, sur la côte Atlantique. Douze d’entre eux attendent ce procès depuis plus de six mois dans la prison surpeuplée d’Inezgane tandis que dix autres sont en liberté provisoire.

La situation à Ifni et cet invraisemblable procès illustrent une nouvelle fois jusqu’à la caricature la manière très particulière qu’ont les autorités marocaines de répondre au profond malaise de populations marginalisées depuis des décennies et qui, en désespoir de cause et devant des promesses jamais tenues, ont fini, en mai dernier, par bloquer l’accès du port pour exiger l’examen de leurs revendications et propositions.


Le Pouvoir reconnaît le bien-fondé des revendications

Ce procès est d’autant plus déplacé qu’il y a aujourd’hui unanimité au sein du Parlement, de la presse, de la société civile et même du Pouvoir (hormis le pittoresque Premier ministre Abbas el Fassi pour qui « il ne s’est rien passé à Ifni ») pour reconnaître le bien-fondé des revendications économiques et sociales des habitants d’Ifni en vue de stopper le déclin accéléré de la région. Mais aussi la dégradation continue des équipements et services sociaux de la ville et d’apporter des solutions concrètes au chômage, véritable fléau régional.

« La violence et la sauvagerie de la répression qui s’est abattue sur la ville le 7 juin dernier, rappelle ATTAC Maroc, ont suscité l’indignation et la réprobation de l’opinion publique nationale et internationale qui ont immédiatement manifesté leur solidarité en organisant les 15 et 22 juin deux caravanes de solidarité qui se sont déplacées à Ifni pour lever l’état de siège et le blocus dans lequel s’est retrouvée cette petite ville. Mais au lieu de poursuivre les responsables des vols, violences sexuelles, tabassages et tortures infligés aux habitants par les forces de répression venues de tout le Maroc (4000 hommes au total !), ce sont 22 représentants du mouvement social d’Ifni qui sont aujourd’hui inculpés sous de très lourdes charges : “constitution et direction d’une bande criminelle, insultes à fonctionnaires, destruction d’installations industrielles, entrave à la circulation, rassemblement armé, destruction d’installations portuaires et des voies d’accès, etc”. »


Blabla avec des notables locaux en guise de solution

Bien entendu, comme à l’accoutumée, l’administration marocaine n’a rien trouvé de mieux que de multiplier les réunions avec des notables locaux totalement déconsidérés aux yeux de la population pour n’avoir pas bougé le petit doigt pour sortir la ville de la misère. Quant aux représentants reconnus de cette même population, ils n’ont pas seulement été victimes de violences policières insoutenables – visibles sur YouTube et auxquels l’Association marocaine des droits humains (AMDH) a consacré deux CD – mais ils se retrouvent sur le banc des accusés après avoir déjà purgé — sans procès — de longs mois de prison dans des conditions désastreuses d’entassement, de manque d’hygiène et de soins.

La tenue même de ce procès dans ces conditions et la longue histoire des procès politiques au Maroc font naturellement planer les plus grands doutes sur la volonté du Pouvoir marocain de garantir l’indépendance de la Justice et, ce faisant, de parvenir à apaiser le climat de tension dans lequel vit la ville d’Ifni depuis des années. Les accusés risquent de cinq à vingt ans de prison.


30 % de chômage à Sidi Ifni

Rappelons que Sidi Ifni est restée plus longtemps que les autres villes marocaines sous administration coloniale espagnole et n’a été rétrocédée au Maroc qu’en 1969. Ville alors florissante, elle connait depuis un processus de marginalisation et de paupérisation. Administrativement déclassée et rattachée à la province d’Agadir en 1970, Sidi Ifni ne bénéficie pas des mêmes subventions que les villes voisine et elle vivote aujourd’hui de tourisme, de la pêche encore concédée et de l’argent envoyé par ses émigrés. Le taux de chômage actuel y dépasse les 30%. L’absence de perspectives incite nombre de jeunes à s’embarquer clandestinement vers les Canaries voisines pour 28 heures d’une dangereuse traversée.

En revanche, les ressources halieutiques de la région attisent les convoitises de lobbies économiques extérieurs à la ville, ayant de très fortes connexions avec l’appareil sécuritaire du Royaume. Ifni voit passer le poisson mais n’en récupère pratiquement plus aucun bénéfice et même les postes de travail du port bénéficient essentiellement à une main d’œuvre extérieure à la région.


Répression policière digne des années de plomb

Cela explique pourquoi, exaspérée par les promesses non-tenues et l’absence de réponses à ses demandes, un groupe de jeunes et de chômeurs a décidé, à la fin mai 2008, de bloquer l’accès au port, ce qui a déclenché en retour, à partir du samedi 7 juin, une répression d’une rare violence menée par les plus hautes autorités sécuritaires, celles-là mêmes qui exerçaient tout au long des « années de plomb » et qui se trouvent avoir des intérêts directs dans le secteur de la pêche dans la région.

Le fait nouveau à Ifni est que la violence de la répression n’a pas eu raison de la colère des habitants. Cinq jours après le « samedi noir » du 7 juin, une manifestation de plusieurs centaines de femmes en noir reprenait possession de la rue. Le 15, c’est une marche monstre de 12 000 personnes qui sillonne pendant plusieurs heures les rues d’Ifni. L’opération est rééditée le 22 juin.

Depuis, inlassablement la population se mobilise dans les quartiers populaires et continue à présenter ses revendications et à réclamer l’ouverture de réelles négociations, avec comme préalable la libération des prisonniers, l’arrêt des poursuites pénales et la reconnaissance publique des exactions du 7 juin.

Le mouvement qui se déroule à Ifni constitue un test tant pour le mouvement social que pour le gouvernement. Il pose des questions qui débordent largement le cadre de ce petit port naguère un peu assoupi et s’insèrent non seulement dans un mouvement social qui s’étend dans tout le sud marocain, mais aussi dans le débat qui parcourt le mouvement altermondialiste international.

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